Portal, scénario et mécanismes narratifs

Tiens, je viens de me souvenir que je vous avais teasé comme une brute avec un premier article et que j'avais rien posté depuis. Je répare ça tout de suite. Ça vous dit de parler de Portal ?



Portal c'est, à mes yeux, une expérience scénaristique avant d'être une expérience vidéoludique. Je ne m'épancherai pas dans ce billet sur la face "puzzle" du titre, qui reste malgré tout unique en son genre et d'un intérêt certain pour tout amateur de bons jeux.

Ce qui m'a donc retenu plus que ce casse-tête constant, c'est cette sensation d'être un rat de laboratoire.

Quand on débute Portal, la première chose que l'on voit à travers un portail, c'est son propre avatar : Chell. Commencement de la mise en abyme. Une jeune femme ordinaire, pas vraiment attirante de prime abord dans sa combinaison orange de sujet de test, et surtout muette.

Coucou, je suis moche.

Sa caractéristique première : elle est "standard", un échantillon représentatif de normalité humaine. Un vrai reflet du joueur moyen : un cobaye devant son jeu vidéo, dont les plaintes quant aux tests imposés resteront sans réponse. D'où la nécessité d'une héroïne passe-partout et sans personnalité, à laquelle s'identifier sera une condition sine qua none pour appréhender les ressorts scénaristiques du titre.

Ici, on n'est donc pas Chell Johnson, on est un sujet de test - le nom de Chell Johnson n'apparaît d'ailleurs nulle part dans le jeu, hors générique. Cette technique de l'avatar transparent, utilisée notamment dans la série des Zelda avec un Link intégralement muet (20 ans que ça dure), a prouvé son efficacité dans la seule mesure où la contrepartie offerte était de ne pas tromper le héros, au risque de tromper le joueur.

La raison est toute simple : autant un héros benêt éveille peu de sympathie lorsqu'on la lui fait à l'envers, occasionnant de fréquents "C'était tellement évident, si on m'avait donné le choix j'aurais jamais fait ça,quel abruti, ce [héros] !", autant un avatar est directement responsable des actions du joueur. Ce qui donne un sentiment de responsabilité accru à ce dernier, et l'invite à réfléchir plus longuement aux conséquences de ses choix in-game (et occasionne plus facilement un arrachage de cheveux quand on sait qu'on a appuyé sur une touche mais que le personnage n'obéit pas).


Valve retourne ici la mécanique bien rôdée de ce pacte ludique (parent du pacte narratif) pour offrir une inéluctabilité redondante au joueur : Quel que soit le choix, il sera le dindon de la farce. Evidemment, la ruse s'use vite pour le joueur, qui sait qu'il sera manipulé... mais jamais dans quel sens. Il est tantôt traité avec le plus grand mépris, tantôt avec une agaçante condescendance, mais toujours comme un élément remplaçable au service de la science et de sa course effrénée, tandis qu'il craint pour sa vie et accomplit les tests proposés.

Tout cette mise en scène, basée sur l'absence d'information sur le background ne tient évidemment que lorsqu'on joue pour la première fois, et donne une toute autre saveur quand on recommence une partie. C'est pour cette raison que Portal 2 a dû changer d'angle d'attaque : exit les mystères d'Aperture Science, on donne dans le franchement loufoque : l'envers du décor devient le décor, l'histoire des labos est révélée au grand jour.

"J'ai oublié ma patate !"

Dans Portal 2, on tombe dans l'équivalent vidéo-ludique d'Alice au Pays des Merveilles : non-sens permanent, aberrations logiques et scientifiques, dédramatisation de la mort et personnification des objets. Les scénaristes sont allés jusqu'à reproduire la scène de la chute dans le puits sans fond - qui a, logique oblige, un fond. L'intérêt est double : Le néophyte découvre un monde scientifique barré, et celui qui a joué au premier épisode voit qu'en définitive, GLaDOS ne mentait pas. Dans les deux cas, la surprise est bien là.

Le mode multi quant à lui hérite plus du premier épisode. L'humour Pixar cachant une réalité grinçante du mode solo s'efface pour redonner le beau rôle aux manipulations, mensonges et tromperies de GLaDOS, qui passe son temps à monter les joueurs à la fois l'un contre l'autre et contre leur but (et joue ainsi, encore une fois, la carte de la psychologie inversée qui lui va si bien).

Tout ça pour dire que si Portal 1 & 2 ne trônent pas encore dans votre ludothèque, vous perdez quelque chose. Scénaristiquement, ludiquement, humoristiquement parlant.

Achète-moi !

5 commentaires:

  1. Très bonne analyse mon cher :)
    Me trompe-je si je dis que Aperture Science est le laboratoire concurrent de celui de Black Mesa dans l'histoire ? A ce propos d'ailleurs, j'ai entendu dire que, dans HL² épisode 3, notre bon vieux Gordon Freeman allait se retrouver dans un bateau ou je ne sais quel bâtiment appartenant à Aperture Science et qu'il aurait droit au Portal Gun. As-tu des choses à nous dire là dessus ^^ ?

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  2. Ouais, Aperture et Black Mesa sont bien concurrents... On le voit dans une salle de réunion d'Aperture et dans la chanson à la fin du premier épisode.
    Pour ce qui est du bateau appartenant à Aperture Science, il est mentionné à la fin de HL² Episode 2 et on y trouve une petite référence dans Portal 2 : la bouée "Borealis" sur le bord d'un dock. Semblerait que ce soit le résultat d'une expérience de téléportation ratée qui l'a envoyé dans le cercle polaire. Si je me souviens bien il y a une map issue de la beta de HL² qui permet de découvrir le bateau pris dans la glace.
    En ce qui concerne le portal gun dans HL Episode 3, aux dernières nouvelles c'étaient des rumeurs ;)

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  3. Ah oui c'est là que je l'ai entendu, dans l'épisode 2 ^^'. Merci pour ces précisions et dommage pour le portal gun dans l'épisode 3 :(
    Tu penses que je peux encore l'avoir cette map où se trouve le bateau ?

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  4. A mon avis ça va être chaud de retrouver une bersion beta de HL² ^^ mais tu peux toujours regarder ce que ça donne en vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=3OFB9CvwX28

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