Revue de Web - décembre 2011

Coucou les p'tits loups ! C'est la fin du mois (celle de l'année aussi, c'est bien fichu quand même), et donc l'occasion de revenir sur quelques articles de décembre. Une revue de Web, en somme. Sauf que celle-là est purement subjective, parce qu'honnêtement, les ventes de Skyrim ou la date de sortie du prochain Need for Speed je m'en moque, on est là pour parler de jeuvidéots :troll:. 


On commence avec Rock Paper Shotgun, site d'actu anglophone orienté PC, qui nous entretient dans un article bien fichu de l'influence du comportement du joueur sur son alignement clair/obscur dans Star Wars : The Old Republic. Ou plutôt de sa non-influence. Qu'on se le dise, les game designers ont encore beaucoup, beaucoup à faire sur l'implication du joueur dans le jeu, et les effets sur son karma. Le reste des articles sera en français, promis.

Restons dans l'implication du joueur avec un article assez long de La faute à la manette, deux petits gars que j'adorerais si ils ne tapaient pas aveuglément sur Nintendo 95% du temps. Leur démontage du scénario de Shenmue et de la motivation du joueur face à celle de Ryo est un régal, et on en vient nous aussi à se demander pourquoi quelqu'un voudrait faire un Shenmue III avec un scénario si plat.

Le scénario, c'est bien quelque chose qu'on cherche entre les épisodes de Zelda, qu'Iwata et consorts nous agitent sous le nez depuis des années, clamant qu'une timeline officielle existe. L'actu qui a fait boum (ou pschitt) cette semaine : selon cet article trouvé chez le Journal du Gamer, il y en aurait en fait trois, reliées par des bouts de ficelle. C'est évidemment une timeline en carton, ça valait bien le coup de nous faire mariner.

Pour vous remonter le moral après cette petite déception, j'ai pensé à inclure la sensation vidéoludohumoristique de cette fin d'année : Dumb running Sonic, un Tumblr rassemblant les animations de course de Sonic les plus improbables.

Qui dit fin de l'année dit "meilleurs jeux de l'année". C'est le gros marronnier de la presse JV, et chacun se fiera donc à son évangile (ou au plus gros site français du domaine, qui ose sacrer Skyrim meilleur RPG de l'histoire, preuve s'il en était encore besoin que ces mecs n'ont aucune crédibilité).
J'ai donc choisi pour vous Respawn, un podcast de Radio01.net, qui invite notamment Boulapoire et Pipomantis pour ce numéro consacré à leurs coups de coeur de 2011, mais aussi un article des talentueux petits gars de Merlanfrit, qui nous proposent une rétrospective des jeux indé de l'année.

Voilà, c'est tout pour ce mois-ci. Merci d'avoir lu et à la prochaine pour une autre revue de Web, un peu plus fournie sans doute !

Regarder n'est pas jouer ?

C'est quelque chose d'assez inhabituel (je crois), mais avec beaucoup de jeux, je préfère regarder jouer. Quand un ami achète un jeu, il peut être certain que dans les heures/jours qui viennent, je serai vissé à son canapé en train de le regarder jouer - et ça tombe plutôt bien, j'ai plusieurs amis qui ont un canapé.

Mais alors, pourquoi se contenter de regarder ? Déjà parce que j'ai, à l'image de l'ami Marcus, des gros doigts gourds, et à l'image d'un castrat une bourse vide, mais surtout parce que j'en prends plein les mirettes et que je suis un gros voyeur.

DO IT, FAGGOT.

Comment profiter d'un jeu sans poser les mains sur la manette ? Parce qu'à la différence de beaucoup de supports, le jeu vidéo peut aussi s'apprécier quand on lui enlève une dimension, ici le gameplay. Enlevez l'image à un film ou la couleur à un tableau, et vous perdez l'essentiel de l'expérience. Enlevez d'un bon jeu la possibilité de jouer et vous en gardez beaucoup. C'est d'autant plus vrai avec l'abandon des prises de risque par les éditeurs, qui ne proposent plus que des gameplays très calqués les uns sur les autres.

Cela ne vaut évidemment que dans un jeu disposant d'un scénario : regarder un ami jouer à un jeu de sport ou de baston, jeux dont l'intérêt réside bien souvent dans la manipulation précise de la manette selon des séquences apprises, ne présente pour moi - mais je conçois qu'un amateur y trouve son bonheur - aucun intérêt. Regarder un ami jouer à un jeu d'aventure, au contraire, me permet de jouir pleinement de l'histoire, de l'ambiance, du suspense, sans pour autant me prendre les pieds dans le tapis d'un gameplay au mieux pas trop mal pensé, au pire (cala)miteux.

Les studios de développement l'ont bien compris, et alors que les RTS, FPS et jeux de baston gardent une image peu reluisante de nourriture pour gros geeks, on voit fleurir les pubs pour jeux d'aventure ou RPG dans lesquelles toute la gentille famille regarde papa jouer. On offre ainsi à tout le monde un long film, avec une histoire prenante du dépaysement, tout en ratissant de nouveaux joueurs attirés par un univers qu'ils voudront rejoindre.

Un walkthrough de Tetris

Les walkthroughs qui fleurissent sur Youtube sont aussi une véritable mine. Comme des démos géantes, en somme. J'en regarde régulièrement, pouvant à loisir admirer détails graphiques ou sonores, subtilités scénaristiques ou bien, au contraire, un jeu d'une platitude déconcertante. Et dans ce dernier cas, croyez-moi, je suis bien content de n'avoir rien déboursé pour me rendre compte que le jeu en question était un navet.

Parce que l'un des piliers de ce mode de consommation tient en sept mots : "Le temps, c'est de l'argent". Et tout est question de temps et d'argent en matière de consommation, c'est bien connu. Ainsi, en grandissant, j'ai perdu  une grande partie des heures de loisirs que je m'accordais, au détriment de trucs un peu moins fun (spéciale cace-dédi au travail, TMTC). Je trouve donc un intérêt à conjuguer jeu vidéo et visite d'amis, économisant un temps fou tout en profitant des deux à la fois.

Exemple d'amis relous voleurs de manettes à ne PAS inviter

Je devrais plutôt dire que tout le monde y trouve son intérêt : les énigmes sont résolues plus vite (la règle de base étant de laisser chercher celui qui tient la manette), et on échange nos points de vue sur le jeu, on engage des discussions sur les influences, les lieux communs et autres détails graphiques ou scénaristiques. 

En somme, on refait du jeu vidéo un loisir de groupe, et ça c'est franchement chouette.

[Operation SneakMas] Test : Trilby, the art of theft

Yahtzee est un personnage du monde du journalisme vidéoludique tel qu'on les aime : direct, impartial, créatif et drôle, il ne lui restait qu'à signer ses propres jeux pour être complet, et c'est ce qu'il a fait. Sa chronique Zero Punctuation change du très ordinaire et lassant test vidéo pour distiller du rire et des critiques pointues, mais toujours fort à propos. Il était donc attendu qu'après quelques jeux d'aventure à l'ancienne, il se lance dans ce projet d'une justesse rare.



The Art of Theft nous remet donc dans la peau du héros en complet gris et chapeau trilby (d'où son nom de bandit) qui, après un petit passage à vide, se voit contraint de retourner dévaliser les honnêtes gens. Manque de bol, il se fait démasquer et devra rendre quelques menus services pour protéger son identité maintenant en péril.

Il faudra donc parcourir bureaux, maisons, et autres édifices publics pour récupérer des objets précieux, souvent dissimulés dans des coffres à ouvrir avec la plus grande précaution. Les gardes, les caméras et les lasers vous mèneront la vie dure, et Trilby devra se déplacer dans l'ombre et agir rapidement pour rester discret. Le timing est souvent très serré et au moindre faux-pas, l'alarme se déclenche. Si c'est un détail lors des premières missions, assez permissives, il ne faudra pas dépasser le quota d'alarmes sous peine de mettre fin à la partie. En tout dernier recours, il est possible de se débarrasser des gêneurs en leur donnant un coup de taser ; Trilby étant non-violent, il préférera toutefois mettre fin à sa mission si l'on abuse de cet outil.

Ces contraintes rappellent que The Art of Theft est le fruit d'un joueur exigeant, nostalgique du challenge proposé dans les années 1990. C'est l'influence de ces mêmes années que l'on retrouvera dans la musique, que l'on jurerait sortie tout droit d'un vieux jeu LucasArts tant elle frôle la perfection, et dans les graphismes savoureusement pixelisés à l'animation sans faille. Il en ressort une ambiance feutrée, féline et posée qui colle parfaitement au personnage et à son tact légendaire.

La difficulté est au rendez-vous, et chaque mission peut être rejouée pour obtenir une meilleure note (en fonction du temps et de la discrétion). Le butin amassé pendant ces re-runs donnera le droit d'acheter de nouveaux mouvements qui faciliteront les déplacements du héros. En prime, le jeu offre un mode challenge dans lequel il faudra refaire les 7 missions sans se faire voir une seule fois, et une multitude de costumes aux effets divers (aussi bien positifs que négatifs, puisqu'il en existe un qui rend visible même dans l'ombre).

Alors, amis cambrioleurs, armez-vous de courage et de votre parapluie-grappin-taser, et rendez-vous chez Yahtzee pour télécharger son Art of Theft. Même si le jeu date un peu, il n'en laisse rien paraître, et apporte un challenge bienvenu.


L'opération SneakMas prendra fin dans la semaine, avec un dernier test qui donnera tout son sens au nom de la mission. Restez branchés !

[Operation SneakMas] Test : Stealth Bastard

Héritier de Super Meat Boy pour l’aspect plates-formes sans pitié et de Splinter Cell pour l’utilisation des ombres, Stealth Bastard propose un gameplay unique d’infiltration hyper-nerveuse. Dans la peau d’un petit espion glissant de cachette en cachette, il va falloir traverser 28 niveaux en restant à l’abri du regard des robots patrouilleurs et des caméras qui n’hésiteront pas à vous abattre au moindre mouvement.


Ce qui surprend de prime abord pour un jeu d’infiltration, c’est la vue de profil. Graphiquement impeccable sous ses dehors de jeu de plates-formes gentillet enrobé dans une musique électronique entraînante, le jeu de Curve Studios aime pourtant à rappeler au joueur qu’il n’a pas droit à l’erreur.

Les terminaux qu’il faudra hacker pour avancer seront ainsi parfois en dehors du champ de vision des ennemis pendant une durée ajustée à la microseconde, à peine suffisante pour les atteindre. De même, frôlez un ennemi de trop près et vous serez pulvérisé, même si vous étiez invisible. Rajoutez quelques pièges –évidemment mortels – et vous aurez une assez bonne idée de l’ampleur de la tâche qui vous attend.

L’aspect die-and-retry du titre n’est donc pas à démontrer, et ce dès les premiers niveaux. Les derniers demanderont une précision et un timing travaillés, pouvant occasionner de sérieuses crises de nerfs. Comme si ce n’était pas suffisant, Stealth Bastard inclut un éditeur de niveaux et le moyen de les partager en ligne, histoire de montrer au monde entier que vous êtes le plus sadique de tous les constructeurs de forteresses imprenables. L’aspect communautaire ne s’arrête pas là, puisque tous vos temps sont enregistrés et automatiquement classés dans les leaderboards.

L’humour reste malgré tout présent, histoire sans doute de décompresser entre deux essais. Comment ne pas pardonner aux développeurs lorsqu’après avoir été mis en purée par un broyeur, un « Bien fait ! » apparaît sur un mur ? Tout au long du jeu, des messages comme celui-ci viendront vous aider ou vous redonner un peu de pêche.

Les mots manquent pour décrire à quel point Stealth Bastard est difficilement contournable. Sa difficulté et ses graphismes old-school, son ambiance légèrement décalée et surtout sa gratuité finiront de vous convaincre de vous ruer dessus.


L'opération SneakMas continue dans quelques jours, avec un deuxième test de jeu d'infiltration. Guettez le dessous de votre sapin et l'intérieur de votre cheminée.

Test : Limbo

Limbo fait partie de ces jeux qui misent sur la simplicité pour donner une expérience pure de tout artifice. Ici, pas de couleurs, pas de textures, pas de 3D, pas de musique, pas de scénario, des contrôles simplissimes… même les options sont réduites, puisque seul le contraste peut être modifié. Et pour cause, tout dans Limbo n’est qu’inquiétantes silhouettes noires et puits de lumière.


Incarnant un petit garçon, vous êtes livré à vous-même dès le début de la partie. Pas de jauge de vie ou de tutorial pour vous aider, vous allez devoir expérimenter et connaître vos limites. Ou plutôt votre limite : la mort, qui ne vous fera aucun cadeau. Vous allez devoir survivre dans un monde hostile et sans pitié, où la cruauté vous guettera à chaque tournant et sous des formes diverses : animaux sauvages, pièges retors, chutes, noyades, et même d’autres enfants qui visiblement n’aiment pas trop qu’on s’aventure sur leur territoire.

Et au moindre faux pas : adieu. Fort heureusement, le nombre d’essais est illimité et les sauvegardes automatiques, ce qui vous permettra de reprendre rapidement avant la boulette fatale.

Limbo n’est pas pour autant un jeu difficile, et il suffira souvent de prendre le temps de réfléchir un brin pour appréhender les mécanismes classiques de jeux de plates-formes utilisés : déplacer des caisses, activer des ascenseurs, éviter les gouffres mortels en se balançant sur une corde, le gameplay est rôdé à la perfection et l’inertie du personnage dosée au millimètre pour qu’on serre les dents à chaque passage délicat. Riche et ingénieux dans la simplicité, Limbo n’est jamais ingrat.

L’ambiance, elle, est à tomber : le dépouillement graphique et sonore, mêlé au monde cauchemardesque arpenté, donne un résultat à mi-chemin entre la mélancolie et la peur. On se sent poussé vers l’avant par l’envie de survivre et de sortir de cet environnement hostile, en espérant retrouver un monde plus accueillant, et en même temps retenu par une peur primitive de la mort, qui peut frapper n’importe quand. La narration, totalement absente, renforce le flou et laisse libre cours à l'imagination du joueur.

Le seul reproche que l’on pourrait faire à Limbo concerne sa durée de vie : Trois petites heures pour les plus aguerris. Mais gageons que ce qu’elles contiennent fera rapidement passer la pilule du prix, un peu salé par rapport aux standards du genre. Malgré tout, Limbo reste une immense référence, et un brillant exemple de ce qu’il reste possible de faire en jeu vidéo sans faire dans la surenchère, et en maîtrisant simplement l’ambiance.

Il faut rebooter Sonic (2)

Je viens de me rendre compte que ce dernier article sur Sonic se résumait à du bash de hérisson, et ça c'est mal. J'y remédie immédiatement.


Cet article sera une liste (strictement subjective et donc ouverte au débat) d'améliorations à apporter à Sonic pour redorer un tantinet son blason terni.

J'aimerais tout d'abord retourner sur les pulsions "révisionnistes" (à l'échelle du jeu vidéo, faut pas déconner) de Sega, qui prend plaisir à modifier à chaque épisode son petit pote bleu, sans jamais apporter le moindre lien entre deux apparitions. A ce stade, on croit bon de devoir se moquer de l'histoire, vu que même les développeurs ne prennent pas la peine d'y faire attention. De toute manière, c'est généralement pas bien compliqué : Robotnik = méchant, Sonic = gentil, sauver planète, rentrer maison.

Erreur colossale ! Il faut choisir une stratégie : Soit on a une histoire complexe et on prend la peine de l'élaborer, jusqu'à se retrouver au pied du mur quand on veut proposer un gros changement et être obligé de proposer un reboot (Tomb Raider, si tu nous lis), soit on a une histoire tellement simpliste et des personnages tellement caricaturaux que le background passe au second plan (attention, jeu de mots). Pour ce dernier cas, prenez Mario : je parie que je connais déjà l'histoire du prochain, et pourtant je sais que le jeu sera bon, parce que l'accent est sur le gameplay qui occulte le reste.

Chez Sega, on a choisi une alternative : on change des morceaux d'histoire d'un épisode à l'autre. C'est à se demander si ils essaient pas de nous enfumer comme Iwata qui persiste à dire que tous les Zelda s'inscrivent dans la même timeline. Alors effectivement, on pourrait donner un scénario élaboré à Sonic, mais l'élément central du jeu reste le gameplay, et pas l'histoire.

Plan diabolique de Robotnik n°78 : transformer la Terre en balle de tennis.


A défaut de scénario, reste à trouver un enjeu : Des raisons pour lesquelles ramasser des anneaux et sauver des animaux. La Sonic Team gagnerait fort à ajouter une situation de départ avec un but simple qui implique le joueur dans le jeu (le vol des émeraudes, déjà fait merci, mais il serait important de se sentir un peu plus menacé par Robotnik) et des fins différentes selon un karma défini par la manière de jouer (esquiver les ennemis, bourriner ou libérer tous les mignons petits animaux).

Et puisqu'on parle de manières de jouer : Le nombre d'anneaux ramassés et le temps n'influent finalement que sur le score. A moins d'établir des tableaux de score en ligne, ce genre d'artifices ne sert donc plus à personne sinon aux trois joueurs old-school qui comparent leurs scores. Il serait plus intéressant de donner une utilité aux anneaux : Un turbo s'activant avec 30 anneaux, une invincibilité temporaire avec 50, une feature à la Mirror's Edge permettant de ralentir le temps pour passer les endroits délicats...

... J'ai parlé d'endroits délicats ? Ah, c'est vrai, on est en 2011, la difficulté n'existe plus. Pourquoi ne pas en ajouter un peu, du coup ?  Parce que prendre une épingle à cheveux à 360km/h, je n'ai guère vu que Sonic le faire. Un hérisson supersonique, c'est bien joli, mais avec ses mignonnes petites baskets son adhérence reste toute relative (allez dire ça aux hérissons normaux qui, eux, ne traversent pas assez vite et pour le coup adhèrent très bien à la route) : Pourquoi ne pas intégrer des mécanismes de jeu de course, comme la tenue de route ou le freinage ? Ou de jeu de rythme, en devant garder une régularité dans les pas de Sonic pour atteindre la vitesse maximale ?

Ah oui c'est vrai, niveau jeu de course on a déjà donné.


Tout ça permettrait aux petits ga de chez Segars (ou l'inverse) de se décider une fois pour toute entre une 2,5D à la précision hasardeuse et une 3D avec impression de vitesse inexistante.

En tout cas, faites un reboot de Sonic si vous voulez, mais faites-le taire et RENDEZ-NOUS SON GROS BIDON.

Portal, scénario et mécanismes narratifs

Tiens, je viens de me souvenir que je vous avais teasé comme une brute avec un premier article et que j'avais rien posté depuis. Je répare ça tout de suite. Ça vous dit de parler de Portal ?



Portal c'est, à mes yeux, une expérience scénaristique avant d'être une expérience vidéoludique. Je ne m'épancherai pas dans ce billet sur la face "puzzle" du titre, qui reste malgré tout unique en son genre et d'un intérêt certain pour tout amateur de bons jeux.

Ce qui m'a donc retenu plus que ce casse-tête constant, c'est cette sensation d'être un rat de laboratoire.

Quand on débute Portal, la première chose que l'on voit à travers un portail, c'est son propre avatar : Chell. Commencement de la mise en abyme. Une jeune femme ordinaire, pas vraiment attirante de prime abord dans sa combinaison orange de sujet de test, et surtout muette.

Coucou, je suis moche.

Sa caractéristique première : elle est "standard", un échantillon représentatif de normalité humaine. Un vrai reflet du joueur moyen : un cobaye devant son jeu vidéo, dont les plaintes quant aux tests imposés resteront sans réponse. D'où la nécessité d'une héroïne passe-partout et sans personnalité, à laquelle s'identifier sera une condition sine qua none pour appréhender les ressorts scénaristiques du titre.

Ici, on n'est donc pas Chell Johnson, on est un sujet de test - le nom de Chell Johnson n'apparaît d'ailleurs nulle part dans le jeu, hors générique. Cette technique de l'avatar transparent, utilisée notamment dans la série des Zelda avec un Link intégralement muet (20 ans que ça dure), a prouvé son efficacité dans la seule mesure où la contrepartie offerte était de ne pas tromper le héros, au risque de tromper le joueur.

La raison est toute simple : autant un héros benêt éveille peu de sympathie lorsqu'on la lui fait à l'envers, occasionnant de fréquents "C'était tellement évident, si on m'avait donné le choix j'aurais jamais fait ça,quel abruti, ce [héros] !", autant un avatar est directement responsable des actions du joueur. Ce qui donne un sentiment de responsabilité accru à ce dernier, et l'invite à réfléchir plus longuement aux conséquences de ses choix in-game (et occasionne plus facilement un arrachage de cheveux quand on sait qu'on a appuyé sur une touche mais que le personnage n'obéit pas).


Valve retourne ici la mécanique bien rôdée de ce pacte ludique (parent du pacte narratif) pour offrir une inéluctabilité redondante au joueur : Quel que soit le choix, il sera le dindon de la farce. Evidemment, la ruse s'use vite pour le joueur, qui sait qu'il sera manipulé... mais jamais dans quel sens. Il est tantôt traité avec le plus grand mépris, tantôt avec une agaçante condescendance, mais toujours comme un élément remplaçable au service de la science et de sa course effrénée, tandis qu'il craint pour sa vie et accomplit les tests proposés.

Tout cette mise en scène, basée sur l'absence d'information sur le background ne tient évidemment que lorsqu'on joue pour la première fois, et donne une toute autre saveur quand on recommence une partie. C'est pour cette raison que Portal 2 a dû changer d'angle d'attaque : exit les mystères d'Aperture Science, on donne dans le franchement loufoque : l'envers du décor devient le décor, l'histoire des labos est révélée au grand jour.

"J'ai oublié ma patate !"

Dans Portal 2, on tombe dans l'équivalent vidéo-ludique d'Alice au Pays des Merveilles : non-sens permanent, aberrations logiques et scientifiques, dédramatisation de la mort et personnification des objets. Les scénaristes sont allés jusqu'à reproduire la scène de la chute dans le puits sans fond - qui a, logique oblige, un fond. L'intérêt est double : Le néophyte découvre un monde scientifique barré, et celui qui a joué au premier épisode voit qu'en définitive, GLaDOS ne mentait pas. Dans les deux cas, la surprise est bien là.

Le mode multi quant à lui hérite plus du premier épisode. L'humour Pixar cachant une réalité grinçante du mode solo s'efface pour redonner le beau rôle aux manipulations, mensonges et tromperies de GLaDOS, qui passe son temps à monter les joueurs à la fois l'un contre l'autre et contre leur but (et joue ainsi, encore une fois, la carte de la psychologie inversée qui lui va si bien).

Tout ça pour dire que si Portal 1 & 2 ne trônent pas encore dans votre ludothèque, vous perdez quelque chose. Scénaristiquement, ludiquement, humoristiquement parlant.

Achète-moi !